Résidences 2022-2023
Danse
« Cette saison à L’étoile du nord nous permet de commencer la création de GHOSTS, dont la première aura lieu la saison d’après, en septembre 2025. L’accueil en résidence sera l’occasion de poser les premières intentions de dramaturgie et de présenter une étape de travail en mars 2025 à l’occasion d’Open Space. Je souhaite réaliser les vingt premières minutes du spectacle, musicalement et chorégraphiquement, sans lumière ni scénographie. »
Chorégraphe, danseuse et comédienne, Jeanne Alechinsky se forme au conservatoire d’art dramatique Erik Satie. Puis auprès de Benoît Lachambre, Juliana Neves et Lisi Estaras (Ballets c de la b), Maya Caroll et Julyen Hamilton. Elle intègre le laboratoire de recherches et groupe de performance Le Corps collectif, où elle participe à la création et à l’interprétation de toutes les pièces et performances.
De 2017 à 2020, elle est la collaboratrice artistique de Nadia Vadori-Gauthier sur son projet Une minute de danse par jour. Elle est aussi interprète dans différents projets, pour Les Filles de Simone, Mathieu Touzé, Margaux Amoros, Loo Hui-Phang, Marine Colard. À l’écran, elle joue pour Le Bureau des légendes, Capucine Lespinas, Sophie Beaulieu et Nine Antico.
En 2020, elle co-crée et danse avec Yohan Vallée Mon vrai métier, c’est la nuit. Elle devient artiste en résidence longue à L’étoile du nord pour cette création et la suivante, Porte vers moi tes pas, en collaboration avec le musicien Stéphane Milochevitch (2022). En 2021, elle crée Paramour Compagnie avec At first, I was afraid (2022), soutenue et coproduite par Danse Dense, L’étoile du nord et La Ville de Paris.
🔗 www.jeannealechinsky.com
🔗 www.paramour-compagnie.com
Chorégraphe et interprète, il se forme en théâtre et en danse à Paris auprès de Nadia Vadori-Gauthier puis aux Ballets C de la B en Belgique avec Quan Bui Ngoc & Lisi Estaras. En 2017, il crée la compagnie Appel d’Air, basée à Tours, avec le solo Un certain printemps dont une nouvelle version verra le jour en 2021 pour Danse Dense #lefestival.
En 2020 et 2022, il collabore avec Jeanne Alechinsky pour Mon vrai métier, c’est la nuit & Porte vers moi tes pas, avec le musicien Stéphane Milochevitch. En 2023, il crée le solo Une autre histoire et débute la création de la première pièce de groupe de la compagnie, Abwarten.
En parallèle, il est interprète pour Lisi Estaras & Ido Batash (The Jewish Connection Project) et Gaia Saitta (Senza Fine) en Belgique. Il est artiste associé à L’étoile du nord à Paris et au Plessis - Théâtre près de Tours depuis 2020
« Cette saison sera consacrée à ma prochaine création KATA. Je souhaite lors de cette résidence continuer à explorer mon rapport au plateau, à creuser les entrelacs des médiums artistiques utilisés, le corps, le texte et la voix, et aiguiser mon expérience de la scène dans ce travail à la dimension personnelle. Je me réjouis également de continuer à aller à la rencontre de nouveaux publics, d’échanger avec les artistes et de découvrir leurs prochaines créations ! »
Formée au CNSMD de Paris, Anna Chirescu a collaboré en tant qu'interprète avec différents chorégraphes dont Jean-Claude Galotta, Daniel Larrieu, Bill Young.
Entre 2013 et 2020 elle danse au CNDC d'Angers dans la compagnie dirigée par Robert Swinston avec qui elle se produit dans le répertoire de Merce Cunningham en France et à l’international. En 2017 elle fonde une collaboration avec l'artiste plasticien Grégoire Schaller avec qui elle signe des performances et des pièces chorégraphiques au croisement des arts visuels et chorégraphiques (Les Indolents, 2017, Dirty Dancers 2018, Ordeal by water 2023). En 2022 elle crée le duo VACA dont la première s’est tenue à L’étoile du nord. Anna collabore régulièrement avec des artistes d'autres champs disciplinaires de la musique, du théâtre et des arts plastiques. Parallèlement, elle a suivi un parcours universitaire de Master en lettres modernes et sciences humaines.
Joachim Maudet se forme au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris et à l'université Paris VIII. Depuis il collabore avec Tatiana Julien, Arthur Perole, la Noord Nederlandse Dans (ND), le National Dance Company Wales (UK), La vouivre, Léonard Rainis et Katell Hartereau, Ambra Senatore, Christian Ubl ainsi que Léa Tirabasso.
En 2017, il crée la compagnie Les Vagues dans une envie de creuser la relation du corps et de la voix. Sa première pièce, ˈstɔːriz, voit le jour en 2019 puis le solo GIGI en 2021 et le trio WELCOME en 2022.
Il est artiste associé à L'étoile du nord dans le cadre d'une résidence longue de trois ans.
Théâtre
Après avoir rencontré Stéphane Auvray-Nauroy et Bruno Wacrenier dans les conservatoires du 16ème et du 5ème arrondissement de Paris, Jeanne Lepers se forme comme comédienne au CNSAD auprès de Daniel Mesguich et Dominique Valadié. Elle joue ensuite sous la direction de Jean-François Sivadier, Michel Didym, Yves Beaunesne, Béatrice Venet, Nora Granovsky, Yordan Goldwaser, Christophe Perton, Olivier Cohen, Balthazar Berling. Depuis peu, elle joue dans des projet mêlant danse contemporaine et théâtre sous la direction d’Ivana Müller ou de Sylvain Riéjou.
Au cinéma et à la télévision, elle joue sous la direction de Régis Roinsard, Caroline Glorion, Thomas Keumurian, Minna Prader et Aurélie Reinhorn.
En tant qu’autrice et metteuse en scène de La Compagnie Bloc, elle réalise deux projets autour de la famille : "Un Caillou dans la semoule", forme courte imaginée dans le cadre du concours destiné aux conservatoires municipaux du Théâtre du Rond Point en 2009, puis une forme longue s’en inspirant, "Bloc", Prix Paris Jeunes Talents 2011. En 2013, elle travaille en collaboration avec Edith Proust un duo de clown, "Le Projet Clown". C’est au Lyncéus Festival 2017 qu’elle présente une première étape de sa dernière pièce, "Les Premiers", qui a été créée en mars 2020 puis reprise en septembre 2020 au Théâtre de Belleville (Paris)
Autrice et metteuse en scène, Pauline Susini se forme au Conservatoire d'art dramatique du Vème arrondissement de Paris.
En 2008, elle crée la compagnie des Vingtièmes Rugissants et monte plusieurs pièces. Depuis 2014, elle écrit les spectacles qu'elle met en scène. Son dernier spectacle Des vies sauvages, explore le processus de l'emprise et de la violence masculine. En tant qu'assistante à la mise en scène, elle travaille avec Joël Pommerat et avec Justine Heynemann. Elle travaille avec Féminisme Enjeu et utilise la méthode du Théâtre de L'Opprimé d'Augusto Boal et le théâtre forum pour lutter contre le sexisme et les rapports inégalitaires. Elle met en scène Simone Veil - les combats d'une effrontée au Théâtre Antoine.
Depuis 2023 elle est artiste associée à La Garance, scène nationale de Cavaillon et à L’étoile du nord - scène conventionnée d'intérêt national art et création pour la danse et les écritures contemporaines.
En 2024, elle créera Les consolantes, dernier projet de sa compagnie ainsi qu’Un tramway nommé désir au Théâtre des Bouffes Parisiens.
Littérature
ENTRETIEN AVEC JULIE ESTÈVE
Dans le cadre des résidences d’artistes organisées par le théâtre de L’étoile du nord, une série d’entretiens a été menée dans l’objectif de mettre en valeur le travail desdits artistes. Julie Estève est l’autrice en résidence littéraire à L’étoile du nord. Elle a organisé un parcours littéraire en trois soirées ainsi que plusieurs ateliers lors de la saison 2022-2023.
Nicolas Bluzet. L’objectif de cet échange est vraiment de rester très libres sur ce que tu as pu faire à L’étoile du nord, sur ton travail ici ou ailleurs, sur tes perspectives. Nous voulons faire se croiser les résidences entre elles pour créer un lien plus profond avec les différents artistes, d’autant plus que comme tu le sais, nous avons des artistes en résidences en danse, théâtre et donc littérature, que tu représentes. Ma première question est la suivante : peux-tu me parler un peu de toi, de ce que tu as pu faire jusqu’ici, de ton parcours et de ta vie ?
Julie Estève. J’ai commencé par des études de droit en licence, puis j’ai fait un DEA d’histoire de l’art. J’étais un peu perdue, je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. J’imaginais être commissaire-priseur, donc j’ai fait des stages dans des études. Ça m’a plu, mais je me suis dit que ce n’était pas ça que je voulais faire, là n’était pas ma place. J’ai commencé à écrire avec les mémoires que je devais rendre pour la fac. C’est comme ça que c’est venu. Je me suis dit que c’était assez facile.
NB. C’est étonnant que l’écriture ait commencé par un exercice aussi académique que le mémoire.
JE. Oui, c’est vrai ! Après, j’ai toujours eu des sujets peu académiques. Là, c’était sur ORLAN, le deuxième sur la plastination, qui est une technique inventée par un fou qui s’appelle von Hagens, qui plastinait des corps morts... C’était à moitié en philosophie, à moitié en histoire de l’art, avec même de la sociologie. Ensuite, j’ai proposé une thèse sur l’utilisation du cadavre en art contemporain, ça n’a pas abouti, et finalement heureusement car je ne m’imaginais pas faire une thèse là-dessus. En fait, la mort faisait partie de ma vie. J’y pensais très quotidiennement, pour penser la vie aussi. J’ai écrit beaucoup d’articles sur des artistes et des expositions, et j’ai continué ce travail d’écriture par le biais du journalisme. J’étais critique d’art. Je crois beaucoup en l’amitié littéraire, et dans le cadre d’un voyage de presse, dans un train, j’ai rencontré une amie qui s’appelle Agnès Vannouvong qui est professeure à la fac et auteure. Je l’ai rencontrée au moment où elle écrivait son premier livre. Aujourd’hui, on a écrit un livre ensemble à quatre mains, qui sera publié aux éditions du Seuil début 2024. Elle m’a demandé si je ne voulais pas écrire un roman. Je n’avais pas du tout cette idée. Cela a été simple et trivial, je lui ai dit qu’elle avait raison, que j’allais le faire. J’ai commencé à écrire comme cela. J’ai trouvé cette place qu’est l’écriture qui est un espace de liberté et de vérité. Je ne voudrais pas être ailleurs qu’à cette place, face à une feuille blanche. Tout y est possible pour moi et c’est presque thérapeutique. Je pense que j’ai besoin que la vie se décante dans le langage. Sinon, je pourrais devenir à moitié folle. J’ai besoin de transcender, dans une forme qui est la phrase, ces angoisses, ce que je vois du monde, des autres, des hommes. J’ai envoyé mon livre à Manuel Carcassonne, le directeur des éditions Stock. Je l’ai déposé un vendredi, et le lundi, il m’appelait. Il avait lu une page seulement. Je crois que je n’ai jamais été aussi heureuse de toute ma vie. Je tremblais, je transpirais, je n’y croyais pas. Après, il m’a dit qu’il avait lu tout le livre et qu’il y avait du boulot. C’est un livre qui était assez radical et un peu trash, qui ne passerait plus aujourd’hui. Il m’a fait confiance, il a aimé mon écriture et m’a beaucoup soutenue. Après j’ai continué. J’ai écrit quatre livres : trois romans et un livre à quatre mains de non fiction qui est un récit. J’en ai un autre en tête aujourd’hui. Je vais le commencer.
NB. C’est trop bien ! Ce qui est fou dans la manière dont tu racontes les choses, dans ton parcours, dans comment tout se dessine, c’est que les choses ont l’air de s’être faites assez naturellement, mais sur le tard par rapport aux histoires d’autres auteurs ou autrices que l’on peut entendre.
JE. Souvent les gens commencent à écrire à mon âge à peu près. Ils sortent un premier livre à 35 ans.
NB. Sur la sortie du livre bien sûr, mais j’ai l’impression que la vocation d’écrire peut arriver plus tôt.
JE. Oui, je n’ai jamais voulu être auteure, ça n’a jamais été un rêve. En réalité, j'ai fait beaucoup de choses. J’ai peint et j’ai fait de la sculpture par exemple. J’avais un besoin d’expression, un besoin d’occuper mes mains et de transformer une matière. Je suis très mauvaise en dessin, mais j’avais ce très fort besoin d’expression. C’est une sorte de destin qui est venue assez tard. Ce n’était pas une envie. Je change tout le temps d’avis, avant je disais que je pouvais très bien vivre sans écrire, mais maintenant, je ne peux plus. J’en ai besoin. J’ai besoin de comprendre le monde et les hommes. J’ai besoin d’aller fouiller.
NB. Est-ce que tu as déjà eu peur de te retrouver face à la page blanche ? Et est-ce que tu as ressenti une forme de fierté ?
JE. Je n’avais pas cette pression. C’est quand j’ai fini que j’en ai eu une, parce que je voulais être publiée. Et non, je ne ressens aucune fierté, ou c’est très rare. Une fois que le livre est imprimé, je m’en fous, je passe à autre chose, il ne m’appartient plus. Je n’ai pas d’émotion particulière. J’ai une émotion particulière quand le livre se termine. Souvent à ce moment-là je pleure, je suis émue, je lâche quelque chose. Par exemple, pour le deuxième livre, Simple [Stock, 2018], j’ai eu beaucoup de mal à lâcher mon personnage. J’avais inventé un langage pour lui. C’est l’histoire d’un idiot dans un village en Corse. Je n’arrivais pas à me départir de ce langage, j’ai écrit comme lui pendant un mois. C’était compliqué. J’étais vraiment très engagée avec ce personnage, je le trouvais solaire et attachant. J’ai toujours une émotion très forte au moment de finir le livre. À la sortie, c’est autre chose qui démarre. Il faut le vendre, le soutenir etc. C’est un autre boulot. Je pense qu’on demande beaucoup aux écrivains. On leur demande d’écrire des livres et de savoir bien les soutenir. Il faut être un personnage, c’est ce que m’avait dit Manuel Carcassonne. Il faut être un personnage dans la littérature. Après, je ne suis pas là-dedans, je n’ai pas envie de construire. Je suis un peu dans ma grotte, même si je suis très sociable etc. Se mettre en avant est un chemin qui s’acquiert.
NB. C’est intéressant, parce que je comprends tout à fait ce que tu dis, et en même temps c’est surprenant dans le sens où tu déconstruis beaucoup d’attendus de l’auteur ou de l’autrice comme ces l’idées de vocation littéraire présente depuis l’enfance ou de fierté du livre. C’est drôle que tu dises qu’une fois ton livre sorti, tu t’en fiche.
JE. En fait, je passe au suivant ! Evidemment, je veux qu’il fonctionne, qu’il soit lu, mais il existe et fait sa vie, comme un enfant. Fais ta vie, trouve ton chemin ! Parce qu’on peut se focaliser sur autre chose. Je ne sais pas combien de livres on a en soi, peut-être qu’on en a un nombre prédéterminé. Commencer un livre demande une dépense physique et énergétique très forte. Écrire est extrêmement physique. Il faut toujours recommencer, comme Sisyphe. Mon rapport à la phrase est compliqué, je la relis mille fois. Je relis toujours tout ce que je fais, à chaque fois, je reprends encore et encore. Tous les jours, je reprends depuis le début, même quand j’en suis à 150 pages. Cela me prend un temps fou. Je n’ai pas envie de laisser une phrase que je trouve bancale ou moche. Je travaille vraiment la phrase. En revanche, je viens d’écrire un livre qui n’est pas de la fiction, qui est du récit, et la phrase y est complètement différente. Je l’ai écrit beaucoup plus vite. Ce n’est pas du tout le même rapport, car même si c'est de la littérature, c’est plus direct. Il y a moins de poésie dans cette phrase. C’était très intéressant de changer un peu de forme, parce que je parlais de ma vie. C’est important de faire de nous des personnages, mais il s’agit complètement de ma vie, c’est une mise à nu. Il ne faut pas penser à l’extérieur, parce que sinon on n’écrit pas. Le livre traite de questions qui sont en lien avec la famille. Maintenant, le livre est terminé et je sais que je vais avoir très peur de le montrer, beaucoup plus que pour les autres que j’ai écrit.
NB. C’est très intéressant ce que tu expliques ! Je me permets de revenir rapidement sur L’étoile du nord parce qu’en tant que spectateur, je trouve ça super d’inclure la littérature dans un espace de spectacle vivant et d’en faire quelque chose qui bouge et qui est oral, alors que c’est une discipline écrite. Qu’est-ce que ça te fait d’être protagoniste de cette mise en scène de la littérature et ce ce cycle que tu incarnes ?
JE. Dans cette résidence que j’ai adorée, il y a eu plusieurs parties. Il y a eu la transmission, avec des ateliers d’écriture et des rencontres. J’ai fait un atelier intergénérationnel entre des enfants de CM1 et CM2, et des personnes âgées dans des EHPAD. Au début, cela a été assez compliqué d’être confrontée à l’extrême vieillesse, mais les enfants ont pris le relais avec leur énergie. Il y avait des personnes qui ne parlaient pas ou qui parfois étaient en colère, mais on s’y confrontait. Ce qui est sorti de cet atelier est magnifique et c’est aussi grâce à la professeure qui a fait un travail extraordinaire avec les enfants. Il y a eu une restitution au théâtre et un petit livre. C’était très émouvant, on en pleurait ! C’était super bien. Ces enfants étaient vraiment investis et très forts, ils avaient en eux une poésie toute naturelle. Je sais que ce qu’ils ont produit comme textes ou comme haïkus leur restera, enfin je l’espère. Il y a vraiment eu un échange entre plusieurs générations. Par la suite, j’ai organisé un atelier avec Jeanne Lepers qui est metteuse en scène en résidence à L’étoile du nord et dont le spectacle Le Bon Fruit Mûr était magnifique [joué à L’étoile du nord en janvier 2023 dans le cadre du festival "La Fabrique des Écritures"]. J’ai adoré ce qu’elle avait fait. Il y avait vraiment en deux volets dans cet atelier, avec d’abord d’écriture, puis la mise en voix et en scène. Il y a eu une restitution le samedi 3 juin 2023. J’ai aussi participé à des ateliers plus ponctuels, qui ont pris la forme de trois soirées littéraires. Je pense par exemple aux rencontres avec Jean-Baptiste Andrea, lors de la soirée de lancement de ces Parcours Littéraires, le 25 novembre 2022. C’était l’une de mes plus belles rencontres. Elle a été très importante pour moi, parce que je me sentais bien et à ma place pour la première fois. Je ne sais pas comment l’expliquer mais il s’est passé quelque chose. J’ai toujours un peu de mal à parler, à l’oral, avec du bruit. Maintenant, ça va mieux, mais il s’est passé quelque chose de très fort intellectuellement et émotionnellement. Ensuite, j’ai invité des amis écrivains pour une deuxième session, le Parcours littéraire #2 intitulé « Peut-on tout écrire » le 4 février 2023. Enfin, il y a eu la restitution. J’ai travaillé avec Nadège Feyrit, une amie qui est sound designeuse et musicienne. L’idée était vraiment de créer le paysage sonore de mon dernier livre, Presque le Silence [Stock, 2022], que j’ai découpé. J’ai hâte de voir ce que cela va donner. Nous avons vraiment mis en sons et en voix ce texte qui s’y prête plutôt bien car il est scandé par sept chapitres préenregistrés. Ce sont de mini-tableaux apocalyptiques, comme une réécriture des plaies d’Egypte. Je pense que cela peut être une projection du livre complètement différente pour le public, qui peut permettre de découvrir d’autres territoires, et surtout de découvrir du bruit car justement, ce sont des textes. Je pratique un peu le gueuloir, c’est-à-dire que je lis mes phrases à l’oral pour voir comment elles sonnent, pour entendre leur musique. Quand je lis pour cette mise en voix, je dois faire abstraction du fait que je sois l’auteure du livre. Je ne suis que dans le texte et je dois y trouver l’émotion, pour la transmettre et être dans une forme de joie pour la dire, même si c’est assez sombre. C’est une première.
NB. Cela change complètement l’appréhension du livre.
JE. Je suis effectivement sur scène. Je pense qu’on va proposer quelque chose de complètement différent d’une lecture lors de la restitution. C’est une lecture performée avec du son et une petite mise en scène légère. J’ai adoré faire ça et l’ensemble a été assez simple à faire bizarrement, même pour ce qui est du découpage, de l’adaptation du texte pour qu’il puisse vivre sur scène 45 minutes. Ce n’est pas trop long parce qu’il ne faut pas que les lectures soient trop longues. En l'occurrence, c’est très bien parce que la lecture est scandée en petits chapitres.
NB. Le projet de L’étoile du nord est vraiment de faire se toucher les différentes disciplines.
JE. Oui, c’est très intéressant. Par exemple, Jeanne va assister à mon filage pour me dire ce qui ne va pas et ce qui va. Nous avons eu peu de temps pour répéter, mais je sais que son regard sera précieux. Je n’ai pas l’habitude de la scène, mais l’adaptation du texte m’a vraiment plu, j’ai aimé imaginer tout ça. Je ne sais pas encore ce que ça va donner ! Je pense que ça peut être bien de créer d’autres images avec le son.
NB. C’est intéressant de voir comment tu fais vivre des sons, des phrases, dont tu écoutes les mélodies. Elles prennent forme autrement.
JE. Quand on lit un texte avec du son derrière, on n’a pas la même intention. C’est tout un équilibre à trouver, il ne faut pas que le son prenne le pas sur la phrase et vice versa. C’est quelque chose que nous avons voulu progressif dans la restitution. Le texte s’y prête, parce que c’est l’histoire de l’effondrement du monde et d’une femme. Plus elle vieillit, plus le son prend de l’importance. J’avais déjà travaillé avec Nadège dans une autre résidence, aux Tanneries [Amilly, Loiret], qui est un centre d’art hyper pointu. Nous avions déjà travaillé ensemble là-dessus et tout fonctionnait très bien. C’était des textes avec des enregistrements de voix. Pour cette restitution, on a fait appel à ma voix alors que la dernière fois, on avait fait appel à une comédienne. Finalement, c’est bien que je sois sur scène. Au début je ne le voulais pas, et je préférai faire appel à des comédiens, puis je me suis dit que j’allais le faire moi-même.
NB. Je pense qu’à ce niveau-là, personne ne connaît mieux ton livre que toi. Même si, comme tu le dis, une fois publié, un livre vit sa vie et chacun y voit ce qu’il veut. C’est ça qui est formidable avec la littérature, mais c’est super que tu puisses y insuffler quelque chose de nouveau.
JE. Oui, c’est une nouvelle forme. Par exemple, mon deuxième livre, Simple, est adapté au théâtre en ce moment. Au théâtre de l’OEuvre. En l'occurrence, je n’ai pas participé à l’adaptation, mais adapter est quelque chose qui me plaît.
NB. En fait, tu es très polyvalente dans ton métier d’écrivaine avec toutes ces expériences. Tes livres bougent, que ce soit ici à L’étoile du nord ou avec les travaux que tu as pu porter avant.
JE. De livre en livre, j'essaie de toujours avancer, de toujours faire quelque chose que je n’ai pas fait. C’est comme un challenge, quelque chose qui me bouscule. Je pense que c’est important. Après, le métier d’écrivain est long. Ma carrière se construit. Je ne vends pas non plus énormément de livres, ce qui viendra peut-être, c’est difficile pour les jeunes écrivains. Je sais que je crois énormément à ce texte écrit à quatre mains. C’est peut-être la première fois que je crois autant à un texte, ce qui est très particulier. C’est un peu le Thelma et Louise des invisibles. Nous avons fait le tour de France des voyants, des médiums et des énergéticiens avec mon amie, en ayant deux quêtes personnelles. Moi, c’est le secret de famille et elle, c’est l’amour. Finalement, tout se rejoint. C’est aussi une histoire d’amitié. Je trouve que l’amitié littéraire fait famille. Le livre s’appelle Tout ce que le ciel promet. Ensuite, il faut que je me relance dans l’écriture, ce qui demande de l’énergie.
NB. Quand tu te lances dans un processus d’écriture, est-ce que tu le fais parce que tu as eu un déclic, ou parce qu’il faut le faire ?
JE. Le prochain portera sur l’alcool et la famille, et ça fait quelques mois que j’y pense. Souvent, je commence mes livres par des histoires qu’on me raconte et qui m’interpellent, par ce que je vois autour de moi. Ici, c’est le rapport à l’alcool. Je vieillis, j’ai 44 ans, donc je vois ce que ça fait. Je vois déjà les morts qu’il y a.On meurt d’alcool, par accident, par tristesse, par maladie et même par ennui. Je veux absolument parler de ça dans un cercle familial et de ce que ça fabrique, ce que ça défait, ce que ça permet. Il y a un autre cercle, qui est une autre famille, celle du bar. Il me faut une forme. Écrire c’est aussi ne pas écrire et ça fait quelques mois que j’y pense plus ou moins tout le temps. Il faut que je lise beaucoup sur cette dépendance à l’alcool, que je parle avec des gens, que je fasse cette préparation et que je trouve la bonne structure pour ensuite être libre à l’intérieur.
NB. Est-ce que tu es plutôt de ces gens qui écrivent en sachant par quelles étapes ils vont passer quand ils se lancent ?
JE. Je connais ma fin. Si je ne connais pas ma fin, c'est compliqué d’écrire. Il faut que le récit tende vers cette fin. En revanche, si on a une structure et une forme, par la suite il est plus facile de s’engager et d’être libre dans cette forme. J’ai fait l’expérience de trouver un grand mot autour du livre. Je m’attache à ce grand mot quand ça fluctue et que je ne sais pas où je vais, c’est vraiment mon sous-texte et ça aide la dramaturgie. En l’occurrence ce serait le mot dépendance, ou quelque chose comme hanté, celui d’avant était le mot perdre. La vie est une succession de pertes, qu’est-ce que ça fait de perdre ? Qu’est-ce qu’on gagne en perdant ? Ce sont des questions presque philosophiques, qui créent un sous-texte. Tout est toujours tendu vers ça, il faut toujours que ça parle de ça.
NB. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui parviennent à aboutir, à voir un projet se concrétiser, à arriver à la fin prévue. C’est pour ça que je te demandais tout à l’heure s’il y avait une forme de fierté, parce que c’est difficile et c’est un travail de longue haleine.
JE. C’est un travail de très longue haleine. Je n’ai pas ce rapport à la fierté. C’est comme si finalement j’étais un canal et que je devais transmettre quelque chose au monde. Ce n’est pas moi qui suis en jeu, c’est ce que j’ai à dire. Bizarrement, on se demande pourquoi on aurait quelque chose à dire. Pourquoi est-ce qu’on ajouterait quelque chose au monde, une création ? Qui est-on pour dire ça ? Je crois qu’il faut trouver une voix, quelque chose qui soit immédiatement reconnaissable, et faire une proposition qui bouscule. J’ai toujours l’idée que la littérature n’est pas forcément là pour faire du bien, mais pour questionner, bousculer, parfois tordre. C’est assez sérieux, même s’il faut toujours un peu de rire, ou des sourires au coin des phrases. Ce n’est pas forcément le pathos, mais une expérience. Je pense que la littérature est plutôt une expérience de lecture. Il faut essayer de faire en sorte que l’autre en garde une empreinte. Finalement, on se fiche un peu de l’histoire – enfin ce n’est pas vrai – il faut les deux, mais quelque chose doit rester. Le style est aussi ce qui reste quand on a oublié l’histoire, c’est une sensation.
NB. Je trouve géniale cette expérience et ces sensations que tu veux laisser. C’est super que tu puisses les partager avec des publics, des jeunes, ou des plus vieux. Tu l’as fait pendant la restitution des enfants qui était formidable, ou même avec la lecture. Tu transformes ces sensations avec une nouvelle approche auditive. C’est intéressant de moduler les expériences.
JE. J’attends de voir l’effet que ça fait, c’est le grand mystère, nous verrons bien. Cela reste une proposition d’expérience du texte, une plongée dans un ailleurs et dans un lieu qui est une scène. Foucault parle des « hétérotopies », qui sont des utopies concrètes. La scène et le livre sont exactement cela, tout y est possible, tout y est faisable et envisageable. Ce sont des lieux de liberté.
Entretien réalisé et retranscrit par Nicolas Bluzet en juillet 2023
Biographie de Julie Estève
Julie Estève est romancière et critique d’art. Elle a publié trois romans aux Éditions Stock, Moro-Sphinx en 2016 (traduction allemande, Éd. Rowohlt sept. 2017 / traduction coréenne, Zhan Publishing avril 2019), Simple en 2018 (Livre de poche, sept. 2020 / Traduction allemande, Éd. DTV avril 2021) et Presque le silence en janvier 2022. Une adaptation théâtrale (seul en scène) de son roman Simple est en cours avec l’acteur Pascal Demolon au théâtre de l’Œuvre en 2023.